EDITO MARS 2013

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Le temps c'est de l'argent. Master clock et liaisons dangereuses.


Notre édito de ce mois sera consacré au Jitter.
Pas vraiment vintage ! Mais il était grand temps de remettre quelques pendules à l'heure …

En pré-requis, nous vous laissons le soin de procéder à la lecture détaillée de nombreux articles sur le Web, et notamment les définitions relatives au jitter, aux flux numériques, le triggering en réception des signaux, le bruit de phase.

Il ne s'agit pas ici de refaire une démonstration par le calcul de ces signaux et de leurs transformées, mais de les remettre dans leur contexte applicatif.

La donnée è mobile :

Donnons cependant quelques explications de base.

La formule décrivant la fluctuation dans le temps des horloges dans nos appareils (exemple, lecteur CD) est :

V(t) = [Vo + L(t)] cos [2 Fo t + Phi (t)]

avec :
Vo = amplitude du signal
L(t) = fluctuation d'amplitude
Fo = fréquence du signal
Phi (t) = fluctuation de la phase

Concernant le bruit de phase, il est calculé à partir d'une autre formule, dite Variance d'Allan :



Plus simplement, on observe que cette formule prend en compte un nombre d'échantillons de mesures défini (ex : 100) et l'on mesure la différence de fréquences [f(i) - f(i-1)] sur une fenêtre de temps donnée (ex : 20ms).

A partir de cette formule, l'horloge, l'oscillateur interne de l'appareil, sera d'autant plus stable que la fenêtre de temps de mesure de la fréquence est grande.

Mais ce n'est pas ce qui nous intéresse ici, dans notre domaine audio !

C'est la fluctuation de la fréquence sur une très courte période, quelques millisecondes, représentative des flux numériques transportant le message musical.
La fréquence instantanée est donc mesurable à un instant donné.
Et sa valeur est prédictible puisque nous sommes en présence d'une formule considérant que ce phénomène se reproduira dans les mêmes conditions de temps.
Sa transformée dans le domaine temporel est appelée jitter.

Par exemple, pour notre convertisseur D/A (DAC), il s'en suit que le déclenchement sur le flux numérique ne s'effectuera jamais au même instant sur les fronts montants ou descendants et que les erreurs deviendront d'autant plus grandes que ce jitter sera élevé.



Le pauvre convertisseur sera lui-même trompé et délivrera le message musical avec des défauts d'avance, de retard ou de troncature du signal qui n'étaient nullement présents à l'origine.
Non seulement mesurable, mais aussi détectable à l'écoute ! …

Un peu de sérieux :

Dans notre environnement professionnel, la synchronisation de l'ensemble des appareils numériques est impérative : il s'agit ici de la réception, sans décalage, d'un unique signal d'horloge dont la qualité temporelle est quasi irréprochable.

Les appareils tels que les lecteurs, processeurs, enregistreurs, graveurs, convertisseurs A/D & D/A, tables de mixage numériques, ... se doivent d'être les plus stables possibles et tous référencés par rapport à un même point de fréquence, surtout pendant les successions de courtes périodes que constituent le traitement musical.
Cette disposition conduit à une distribution de la fréquence dite "en étoile", à partir d'une source unique et de référence.

La notion de vieillissement ("ageing") et donc de décalage de la fréquence dans le temps - le jour est considéré comme du long terme dans ce qui nous occupe - n'est pas indispensable au premier ordre.

Exemple : un drive avec sortie numérique commandant un convertisseur D/A et qui se synchronisera d'office sur la fréquence d'origine du drive.
Mais une fréquence décalée peut devenir gênante et une synchronisation impossible, si les limites atteintes sont en dehors des tolérances admissibles par les circuits de verrouillage (PLL) de l'élément récepteur.

Le recours en studio à une horloge unique de très haute stabilité et surtout à très faible bruit de phase, dite " Master Clock " est indispensable :

- Pour assurer la synchronisation parfaite de tous les éléments numériques,
- Pour éviter les différences de vieillissement liées à chaque appareil et à leur technologie interne propre à la génération du signal d'horloge (quartz + portes Nand, TCXO),
- Pour minimiser le jitter, directement lié au bruit de phase, source de défauts majeurs et mesurables des flux numériques.

Rapport à l'écoute :

Si la lecture CD ne permet, par définition, qu'une résolution de 16 bit / 44.1KHz, cette résolution native est bien loin d'être pauvre à l'écoute, comme le disent ses détracteurs.
Nous avons déjà évoqué plusieurs fois ces points ici-même : avant de critiquer une technologie audio, encore faut-il l'avoir comprise, mesurer et s'assurer de lire toutes les données musicales inscrites sur le support.

Et dans notre CD, elles sont très nombreuses !

La confusion ne doit pas non plus se faire entre la qualité liée aux principes théoriques, celle limitée par la technologie et le support, celle enfin liée à la qualité de la prise de son et au mastering.
Et c'est ici que la confusion commence : les écoutes, forcément subjectives, sont la base de discussions sans fin sur les appareils ; mais la cause est peut-être ailleurs et déjà mesurable à la source ?

Les conditions de stabilité et de pureté des flux audionumériques sont donc tout aussi importantes que leurs transferts et leur écoute finale en mode analogique.

La chaîne de reproduction musicale commence en amont de ce flux numérique et non pas seulement au niveau de ce pauvre DAC qui fait ce qu'il peut avec toutes les sollicitations de paquets en entrée, leur synchronisation et le découpage temporel qu'on lui impose !
Sans parler des alimentations qui vont encore dégrader le tout.

La base de la qualité numérique, dans le cadre d'une reproduction de haut niveau, est bien la réduction, voire l'élimination, du jitter.
Il ne s'agit pas de dire que tel enregistrement est "pourri" : la grande majorité des studios est équipée avec des appareils généralement très supérieurs au matériel grand public ou haut de gamme et assurant l'excellence du mastering.
Lors des séances finales de monitoring, les rapports d'écoutes des ingénieurs du son sont très loins de certains arguments fallacieux transmis au milieu audiophile …

Nous en avons encore fait l'expérience récemment avec une écoute CD, mastering en provenance du Japon, enregistrement original de 1972 :

- Première écoute sur lecteur CD autonome de notre client, drive et convertisseur intégrés : équilibre tonal fortement montant, aigus cinglants et dénaturés, assise dans le grave et extrême grave inexistante, bref aucun réalisme quant au son analogique "70s" et au probable mastering sur Studer.
A noter que notre client avait bien en mémoire le son analogique "vinyle" de cet album, et quelle déception de ne pas retrouver ses caractéristiques ...

- Deuxième écoute sur notre système professionnel et possédant la synchronisation adéquate : renaissance de la dynamique sur toute l'étendue du spectre et équilibre tonal aux deux extrémités. Pas d'aigu vrillant. Pas de haut médium agressif.
Le son enfin retrouvé avec les caractéristiques de matière, grave - bas médium "charnu", typique des consoles à transistors des années 70s et sur le haut, aigu non "filant", mais matière très réaliste et caractéristique sur les cymbales.

Le problème est bien la lecture, la reproduction de signaux à l'identique chez le mélomane et l'audiophile que vous êtes.

Et pour cela aucun secret, une seule solution : se replacer dans les mêmes conditions numériques que celles qui ont présidé à la gravure du master ET à son contrôle en monitoring.

Remarque : cette condition est valable en numérique, mais elle est tout aussi pertinente en analogique pur : l'écoute d'une bande master analogique est bien différente d'une lecture vinyle du même passage musical.
Là encore la reproduction à l'identique est une quête difficile d'associations d'appareils de très haut niveau ...
Dans tous les cas, il y a bien eu un contrôle final : les artistes, musiciens, ingénieurs du son présents lors de cette écoute avant gravure définitive ne sont pas tous sourds …
A ne pas confondre avec les effets et mixages particuliers voulus par les créateurs et qui définissent une orientation spécifique du message sonore.

Retour en force :

En plus des systèmes professionnels de synchronisation délivrant un bruit de phase impeccable près de notre chère porteuse, les liaisons (câbles) sont un critère non négligeable.

Si un environnement professionnel doit transporter avec un minimum de pertes et de déformations les signaux numériques sur plusieurs mètres, il doit en être de même pour tout équipement dont l'objectif est d'assurer la plus haute qualité de reproduction sonore.

Mais les niveaux de sortie délivrés par les systèmes grand public sont moindres que ceux délivrés par les systèmes professionnels et ils seront donc plus sensibles à la longueur des câbles.
L'aspect asymétrique des liaisons est également à prendre en compte et rien ne vaudra une liaison numérique symétrique AES/EBU :
A l'écoute, ce type de liaison procure une focalisation et une stabilité des plans exemplaire.
L'aigu est filé à souhait et l'extrême grave est tendu.
Le médium-aigu qui pouvait paraître dur est dans la lignée de l'aigu, sans agressivité.
Enfin, les apports sur la définition et la profondeur de la scène sonore sont indéniables.

Ces conditions ne sont pas les seules : comme nous sommes sur des débits importants - et plus ils seront importants, plus l'ensemble sera critique - comme les fronts de montée sont à conserver pour le déclenchement des électroniques internes, l'adaptation en impédance est donc tout aussi sensible.

Les impédances de câbles et celles terminales des appareils devront être respectées.

Pour faire simple et par analogie : impédance de charge optimale d'un tube (7000, 4500, 3300 Ohms), charge sur 4, 8 ou 16 ohms d'un amplificateur qui donnera le meilleur niveau de puissance en sortie,
ET la phase :
Capacitance d'un câble pour liaison phono, instabilités d'un amplificateur liées à une enceinte fortement capacitive, filtre de voies désadapté (compensation inexistante de l'impédance selfique du haut-parleur) ,…

Afin de vous prouver ce que nous venons d'énoncer, une seule certitude : l'écoute d'un message numérique correctement transporté par notre système de référence.

Le temps c'est de l'argent.
Et aussi de l'or pour vos oreilles ... Musicalement vôtre,

Laurent SCHWARTZ
Ingénieur Electronicien - Ingénieur du Son

L'Autre du Son

© Mars 2013 AUDIO MUSICAE